LA VIE OUVRIÈRE – Comment combattre l’extrême droite ?

La CGT organisait une journée de réflexion sur la progression des forces d’extrême droite pour mieux les combattre lors de son comité confédéral national le 27 août 2024.Devant un parterre de dirigeants de fédérations, d’unions départementales et de la commission exécutive confédérale représentant son comité confédéral national (CCN), le « parlement » de la CGT, quatre représentants de syndicats étrangers ont d’abord échangé sur la situation de l’extrême droite dans le monde. En Europe, mais aussi en Amérique, le nationalisme d’extrême droite gangrène les sociétés. En Italie, en Hongrie, en Slovaquie, en Suède, en Finlande, en Lettonie, l’extrême droite est soit au pouvoir, soit participe au gouvernement.

Un fatalisme de classe s’est installé

« Nous pouvons nous féliciter collectivement de la défaite, certes relative infligée au Rassemblement national et à ses alliés aux législatives. Mais l’immense soulagement ne doit pas estomper la dynamique électorale de l’extrême droite. Avec 126 députés, le RN s’assure une assise financière avec près de 15 millions d’euros annuels de financement public. En Europe, l’extrême droite est représentée par trois groupes au parlement qui obtiennent le quart des sièges », démarre Emmanuel Vire, copilote de la commission de lutte contre les idées d’extrême droite à la CGT.Nous savons bien que lorsque l’extrême droite parvient au pouvoir, elle trahit les aspirations populaires sur les retraites, le Smic pour réconforter les milieux économiques« L’extrême droite a réussi à politiser les peurs. Un fatalisme de classe s’est installé, les gens sont des plus en plus convaincus que le partage des richesses est inatteignable. Alors, c’est plus facile d’imaginer les petits gains que l’on pourrait obtenir en opposant une catégorie de la population à une autre, que les possibles gains très importants que l’on pourrait obtenir dans le partage des richesses », enchaîne Ludovic Voet, représentant de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Lequel alerte de l’influence des gouvernements d’extrême droite au sein du Conseil européen, en capacité de bloquer toutes avancées sociales, dans un contexte d’austérité où les licenciements s’annoncent massifs. « Nous savons bien que lorsque l’extrême droite parvient au pouvoir, elle trahit les aspirations populaires sur les retraites, le Smic pour réconforter les milieux économiques », soutient Ludovic Voet. L’extrême droite aux manettes, Salvatore Marra, représentant de la CGIL, syndicat italien, la pratique depuis l’arrivée au pouvoir en 2022 de la néofasciste Georgia Meloni, présidente du conseil des ministres. Quelques mois auparavant, le siège du syndicat italien avait été vandalisé par des militants fascistes de Forza Nuova. « Georgia Meloni a commencé par supprimer l’équivalent du RMI. Pour elle, les pauvres sont coupables, c’est leur responsabilité s’ils sont pauvres, c’est à eux de se débrouiller. Il n’y a plus de dialogue social en Italie. Les syndicats sont informés, mais aucune décision n’est prise avec eux sur les salaires, la santé, l’éducation. Le gouvernement Meloni est aussi très conservateur : pour lui, la place de la femme est au foyer, le mariage est entre un homme et une femme. Un projet de loi avait même été déposé au parlement italien pour interdire la féminisation des titres institutionnels sous peine d’une amende de 5000 euros ».

Résistance antifasciste

Face à la propagation de la peste brune qui se repaît des ravages du néolibéralisme, comment le syndicalisme peut-il constituer un rempart ? En assumant de faire de la politique et en renforçant son implantation, selon Ludovic Voet. Plus facile à dire qu’à faire… « Comment améliorer la protection sociale, comment obtenir des augmentations de salaires si les syndicats ne font pas de politique ? L’extrême droite est forte parce que les services publics diminuent. Mais se demande-t-on à combien de kilomètres est la première délégation syndicale des électeurs votant pour l’extrême droite ? Dans un syndicat, c’est là qu’on apprend à se mettre en mouvement, à imposer un rapport de force au patronat ». « Le combat contre l’extrême droite, on ne le remportera que si on le mène au niveau international. Les fascistes sont très bien organisés. Il est temps pour nous, les antifascistes de nous organiser pour mener le combat. Est-ce qu’on doit avoir peur de se définir comme antifasciste ? Rappelons-nous de l’orgueil de la résistance antifasciste. Il faut pousser à une véritable politique sociale, avec des services publics à la portée de tous car sinon, les gens vont s’éloigner du sens de l’Etat », affirme Salvatore Marra, qui annonce la création d’un réseau international de syndicats antifascistes auquel la CGT a adhéré. Eric Manzi, secrétaire général adjoint de la Confédération Syndicale Internationale (CSI) annonce : « nous allons lancer une campagne mondiale pour la démocratie. Il s’agit de défendre non seulement la démocratie électorale mais aussi la démocratie en entreprise, qui tienne compte des droits de constituer un syndicat, de faire grève, de la liberté d’expression. Ce que nous craignons, c’est que les gouvernements d’extrême droite fassent pression sur les instances multilatérales telles que l’OMC, l’Assemblée Générale des Nations-Unies, la banque mondiale ».

La main qui tremble

Tous sont conscients que la lutte contre la propagation des idées d’extrême droite commence par chez soi. Car le fait d’être syndiqué ne suffit plus à immuniser l’ensemble du corps militant. « On ne peut plus se dire que ceux qui votent extrême droite, ce n’est pas nous. Nous devons nous interroger sur la façon dont l’extrême droite s’est infiltré dans le syndicalisme », avoue Ludovic Voet. « Nous devons continuer de marteler que l’extrême droite n’a pas et n’aura jamais sa place au sein de la CGT. Face à un militant qui se dit RN, il ne faut pas avoir la main qui tremble », tranche Emmanuel Vire. C’est ainsi que l’Union départementale CGT de la Loire a démandaté une élue CGT qui se portait candidate RN aux législatives. La CGT a aussi renforcé sa politique de formation, avec plus de 600 camarades formés au premier semestre 2024. « Chez nous aussi, le débat a été compliqué. Chez nous aussi sur les lieux de travail, des salariés avouent avoir voté pour l’extrême droite. Alors, ce que nous avons fait, c’est que nous avons organisé 60 000 assemblées pour démonter la réalité de l’extrême droite. On a travaillé avec des associations féministes, LGBT… Ce qui a probablement contribué à faire refluer le vote extrême droite lors des élections européennes. On a aussi enregistré une hausse de 1,5% des adhésions. Il faut écouter les travailleurs, nous les syndicalistes, on a tendance à trop parler », encourage Salvatore Marra.