Prise de parloe de VISA à la commémoration du 10 février 1934 : Construire la riposte antifasciste aujourd’hui

10 février 2024 – Bourse du travail Paris

Avant de parler d’aujourd’hui, il me paraît nécessaire de rappeller comment nous en sommes arrivés là.

Et tout d’abord, rappeller brièvement le fil de l’histoire entre février 1934 et février 2024

Après février 34 :

– En 1936, le Front populaire : période brève mais fondatrice

– c’est aussi la tragédie de la Guerre d’Espagne : répétition de la guerre fasciste

– 1938, signature des accords de Munich avec Hitler.

On connaît la suite. La guerre se déclanche en 1939, la France est défaite en 1940

Pétain arrive au pouvoir, et institue un ordre nouveau 

Sa devise « Travail, Famille, Patrie », vient des « Croix de Feu »

Période de collaboration avec l’occupant nazi. Une bonne partie de l’extrême droite y participe activement.

Ensuite, Libération, « épuration », grand récit national porté par De Gaulle

Après la découverte de la Shoah, disqualification du fascisme qu’on veut croire « définitive » « Plus jamais ça ! »

Puis c’est la Guerre froide/ l’ennemi principal change, le fascisme sort de la mire, l’extrême droite semble disparue.

C’est une illusion, elle réapparaît assez vite

– Avec la Guerre d’Algérie  et l’OAS, qui revigorent nationalisme / racisme / militarisme/

– à la fin des années 60, période de redéploiement idéologique avec la « nouvelle droite » d’Alain de Benoit (GRECE) qui donne les bases d’une guerre culturelle pour la reconquête des esprits.

– Des groupes violents ouvertement fascistes sont créés

  • Occident : en 1963 autour de Pierre Sidos,
  • Le GUD : Groupe Union Droit en 1968 à Assas par des anciens d’Occident.
  • Ordre Nouveau : en 1969, il sera dissous en 1973 après la grande manifestation antifasciste de la LCR autour de la Mutu où se tenait son meeting « Halte à l’immigration sauvage »

Mais le renouveau de l’ED en France est surtout marqué par la Création du Front National en 1972

– structure électorale vouluepar Ordre nouveau et le GUD en vue des élections législatives de 1973

– JMLP, député poujadiste, engagé volontaire en Algérie, devient président.

– Il porte un discours haineux contre les communistes et les immigrés avec des slogans qui feront flores :

« 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! » «  La France et les Français d’abord ! »

Le Front reste marginal jusqu’en 82, puis commence à gagner des points.

– 1983 : municipale à Dreux – 16,7 % – et alliance avec le RPR pour cogérer la ville.

– 1984  : élections européennes : 10 élus

– 1986  : Législatives : 35 députés (scrutin proportionnel)

– Aux régionales, 135 élus, accords avec la droite

– 1995 – Municipales : Toulon, Orange, Marignane, + Vitrolles en 1997.

1998 : Conflit interne avec bruno Mégret l’affaiblit temporairement

Mais en 2002 : présidentielles : JMLP est au 2e tour 5,5 millions de voix, soit 17.8% des suffrages exprimés.

Surprise et choc. 1er mai 2002, plus d’un million de personnes manifestent dans la rue

Chirac est élu par un vote barrage à 82,2 %.

Ensuite le RPR reprend un certain nombre de thèmes contre l’immigration et Sarkozy capte une partie des votes FN.

2011 : Arrivée de Marine le Pen. Une nouvelle période marquée par une stratégie de dédiabolisation.

– Elle se démarque de son père

– abandonne des thèmes trop marqués à l’extrême droite : antisémitisme, négationnisme…

– Renie ses liens avec les groupes violents

– Discours anti élite, anti-mondialisation et anti Europe dont elle veut se séparer

– Part à la conquête de nouveaux électorats dans les bassins ouvriers du Nord et de l’Est,

Démarche électoraliste qui marche

– 2012. 1er tour des présidentielles  :près de 18 % (+ que JMLP)

2014 : élections municipales : 12 villes remportées par l’ED, Plus de 30 % des voix.

– aux élections européennes : 24 élus

– 2015. élections régionales : 358 sièges gagnés

– 2017 à la Présidentielle, elle arrive au 2e tour et obtient un score de 33,90 % soit 10 638 475 voix

Législatives : 8 députés

Après une période de remous internes : Scission de Philippot, rupture avec MMLP, pbs judiciaires, pbs financiers

2018 – MLP resserre les rangs au congrès de Lyon avec un nouveau nom : Rassemblement National

– Même programme, mais glissements du discours pour rafler au plus large

– Refus du qualificatif d’extrême droite

– abandonne le « Frexit », et garde l’euro

– se présente comme celle qui défend les laissés pour compte

– Recherche systématique de voix dans tous les secteurs de la société, quitte à tenir des discours parfaitement contradictoires.

– 2019 – Elections européennes. 23 élus

– 2022Bardella président , MLP se consacre à l’élection présidentielle

Programme minimal et attrappe tout, bien maquillé, avec des concessions à l’air du temps, mais le fond idéologique reste le même :

2022 – Arrive au 2e tour et obtient 41,45 % des suffrages, soit soit 13 288 686 voix

– Elections législatives de 2022 : 89 députés

Situation actuelle, « 1er parti de France », implantation qui semble solide dans de nombreuses régions, représentation importante à l’AN, dans les conseils régionaux et départementaux, conquête de municipalités et de regroupements de communes. Il faut ajouter 3 sénateurs et les députés européens.

Le RN dispose désormais de troupes bien propres qui affichent sérieux et respectabilité (sauf erreur de passage…)

Tous ces élus représentent une force de frappe politique de plus en plus importante, qui attire les jeunes loups en recherche de carrière rapide.

MLP est arrivée à faire croire qu’elle est la défenseuse des petits face à Macron. L’électorat est souvent fidélisé. Le gender gap n’existe plus. Les jeunes votent Le Pen. Les simulations pour la prochaine élections présidentielles lui sont plutôt favorables.

Le Sondage Ipsos paru dans Valeurs Actuelles du 8 février 24 donne pour la 1ere fois MLP élue au 2e tour.

Dans 3 ans, mais signal d’alarme.

Le 1er round va se jouer aux européennes. Et il faut s’en préoccuper dès aujourd’hui.

Mais il n’y a pas que le RN. D’autres partis participent de l’émergence de l’ED et de ses idées

– Reconquête – Zemmour, rejoint pas MLP, diffuse un discours ouvertement d’extrême droite.

Il mobilise une population jeune, essentiellement masculine et urbaine, qui se revendique ouvertement d’une idéologie raciste et sexiste. – Son service d’ordre utilise les groupes les plus violents, comme on a pu le voir lors du meeting de Villepinte contre SOS racisme.

– Il a été rejoint par Nicolas Bay, ex secr général du FN, et MMLP avec qui il monte une liste pour les prochaines élections européennes.

D’autres micropartis comme

– Debout la France de Dupont Aignan

Les Patriotes de Philippot, qui a fait son chemin chez les complotistes et les antivax.

L’Action Française, qui reprend des forces

– Civitas, dissous en 2023 pour antisémitisme,

– La manif pour tous a renforcé les groupes traditionalistes, avec la lutte contre l’avortement et l’ homophobie.

A l’arrière, divers groupes violents occupent le terrain

notamment Les Identitaires, et leurs multiples déclinaisons locales (voir le schéma de la Horde).

– Ils se proclament Français de souche, défenseurs de l’occident chétien, dénoncent le grand remplacement, se réclament du suprémacisme blanc.

– Ils s’en prennent aux migrants, aux racisés, aux minorités sexuelles, aux militants de gauche, aux syndicalistes, aux piquets de grève, aux manifestations

– Culte des armes, pratique de la violence, risques élevés de passage à l’acte, ils s’emparent de faits divers et organisent des commandos vengeurs comme récemment à Romans sur Isère.

Et ils tuent. Il faut le dire et le redire. L’extrême droite tue : Clément Méric il y a 10 ans, Aramburu il y a 2 ans

Pour mémoire, l’extrême droite a tué 49 personnes depuis 1986, dont 32 crimes racistes.

Ce qui est grave, c’est la diffusion rapide des idées ; l’hégémonie culturelle est en passe d’être gagnée par l’ED

Les média d’ED occupent un espace de plus plus visible.

Le groupe Bolloré tisse sa toile avec des medias de premier plan comme Cnews ou C8, Canal+ à la TV, Europe n° 1 à la radio, Paris Match, le JDD depuis peu, les groupes Editis et Hachette… Mais les thèmes et les propos diffusent bien au delà.

La fachosphere domine la toile.

Elle regroupe des tendances très diverses : catholiques intégristes, néonazis, islamophobes, antisémites, masculinistes, complotistes,…

Une efflorescence de sites internet multiformes, des sites de « réinformation », des forums sans filtres, des réseaux sociaux très efficaces, sont très visités par les jeunes. Des influenceurs sont suivis par des centaines de milliers d’abonnés.

Ils diffusent les théories complotistes, le grand remplacement, le déni écologique, le discours masculiniste, la dénociation du wokisme, le goût des armes et de l’armée, le retour à l’autorité…

On peut citer des sites « historiques » virulents comme Fdesouche, BdVoltaire, BreizhInfo, Riposte laïque, les sites antisémites d’Alain Soral ou Dieudonné, de Thierry Meyssan (complotiste), de Boris Lelay (néonazi)…

D’autres sont arrivés plus récemment, Papacito macho flingueur de gauchistes, Daniel Conversano, suprémaciste blanc, Julien Rochedy, ex responsable du FNJ virulemment masculiniste, Thaïs d’Escufon, qui après avoir été porte-parole de Génération identitaire, prône les valeurs domestiques tradwife…

Des sites engagés organisent la résistance et la dénonciation de ces discours  comme les Debunker ou Sleeping Giants.

Il n’y a pas que la France

Cette progression se fait aussi au-delà des frontières. Sous des formes très variées… On a vu Trump et Bolsonaro, Duterte aux Philippine, Milei en Argentine, Netanyaou en Israël, les régimes autoritaires chinois ou russes, les théocraties dictatoriales. Le monde ne va pas très bien…

En Europe, les mouvements d’ED se renforcent partout et sont souvent en capacité de passer des accords avec les partis de droite, voire du centre. On peut citer

En Suède : les Démocrates de Suède

En Finlande : Les Vrais Finlandais

En Italie : Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia sont arrivés au pouvoir

En Belgique flamande : le Vlaams Belang

Aux Pays-Bas : Le Parti pour la liberté

En Autriche : Le FPÖ est en tête des sondages pour les prochaines législatives.

En Hongrie : le Fidesz est au pouvoir depuis 2010 

En Pologne : Le PiS, au pouvoir depuis 2015, a été battu en 2023. Mais il reste très puissant et en embuscade…

En Espagne : Vox se renforce localement et gère la région de Valence.

En Allemagne : forte montée de l’AFD qui est omni-présente dans les Länder de l’Est.

Mais des fuites sur une réunion organisant la « remigration » des migrants a entraîné une réaction très forte de la société civile le 2 février avec d’énormes manifestations antifascistes.

L’enjeu des élections européennes de juin prochain est grand

L’ED du Parlement européen – 705 députés- est pour l’instant divisée entre 2 groupes et quelques non inscrits:

– L’ECR – Conservateurs et réformistes européens avec 68 élus dont Fratelli d’Italia ou le PiS polonais. Reconquête vient d’indiquer qu’il le rejoindra.

– ID – Identité et Démocratie avec 59 élus dont le RN, l’AFD et la Lega.

Leur réunion ne s’est pas encore faite

Ils défendent des politiques sociales et économiques parfois divergentes, mais ils s’accordent pour dénoncer l’Immigration, le wokisme et l’égalité des droits des minorités. Souvent climatosceptiques, parfois soutiens de la Russie.

Ils souhaitaient quitter l’Union Européenne, maintenant ils veulent la conquérir. C’est l’enjeu des prochaines élections de juin. S’ils arrivent nombreux, ce sera grave pour toute l’Europe.

Construire la riposte antifasciste aujourd’hui

Face à ce tableau délétère, il y a de nombreuses réactions, mais pas toujours très audibles.

– Elles viennent de citoyens, d’associations, de syndicats, de groupes politiques de gauche, du terrain des luttes locales.

– Elles portent sur l’antiracisme, le décolonialisme, la solidarité avec les migrants, l’antisexisme, la défense des acquis du CNR.

Les syndicats s’impliquent depuis longtemps ce combat et on peut rappeller deux appels unitaires

En 1996 : «  Nous syndicalistes nous inquiétons de la progression menaçante du Front National…

Le danger renaît, profitant de la crise et de son cortège de misère ; nous réaffirmons que les luttes syndicales et antifascistes sont indissociables et que notre combat doit en être l’illustration quotidienne. »

– Ou encore en 2011, pour « empêcher l’instrumentalisation du syndicalisme par le FN qui n’est pas un parti comme les autres t dont les orientations sont à l’opposé des valeurs qu’elles portent »

L’appel d’aujourd’hui s’inscrit dans cette lutte de fond : Chacun ici y prend sa place

VISA

Pour ma part, Je représente ici Visa – Vigilance et Initiatives syndicales antifasciste.

Visa est créé en 1996. C’est une association intersyndicale composée aujourd’hui de plus de 180 structures syndicales CGT, FSU, Solidaires, SM, CNT-SO, CNT, CFDT, FO.

Son texte fondateur proclame :

« Nous, syndicalistes, avons une responsabilité particulière pour combattre le venin raciste, sexiste, homophobe, antisyndical de l’extrême droite et dénoncer les pseudos solutions du RN qui consistent à dresser les un·es contre les autres les précaires, les immigré·es, les Français·es, les chômeur·euses et celles et ceux qui ont un emploi.

Notre devoir est de défendre, de façon intransigeante, dans notre propagande et nos actions, la solidarité de tout le salariat quels que soient son origine ou son statut.

VISA se veut un outil d’information et de réflexion pour toutes les forces syndicales qui le souhaitent afin de lutter collectivement contre l’implantation et l’audience de l ’extrême droite dans le monde du travail.

  • Il publie des analyses,
  • assure des formations,
  • organise des stages,
  • publie sur son site les actions et les prises de position des organisations syndicales contre l’extrême droite.
  • Il participe à des mobilisations et à des événements antifa antifascistes.

Depuis 2013, des VISA locaux sont créés dans le 13, 34, 66, 29, 09, 14, 73-74, 38, 35, 22, 44… Ils permettent de développer les luttes intersyndicales antifascistes au plus près du terrain.

Leur multiplication est un bon et au mauvais signe… Mais prouve l’engagement croissant des militants.