Interview du Président de VISA d’ans l’Humanité

https://www.humanite.fr/politique/rassemblement-national/cedric-bottero-le-rn-est-discret-l-assemblee-mais-sa-presence-mediatique-est-enorme-786328

Cédric Bottero, président de Visa, s’inquiète de l’omniprésence médiatique du RN et de son discours offensif sur le pouvoir d’achat, qui lui permet de se doter d’un vernis social. Il appelle à renforcer l’argumentaire sur l’imposture sociale de l’extrême droite.

Alors que des sondages placent Marine Le Pen comme la première opposante à la réforme des retraites, l’extrême droite a-t-elle réussi à s’imposer comme une représentante des travailleurs et de la colère sociale ?

Le Rassemblement national réussit désormais à apparaître comme une alternative crédible et républicaine, y compris sur les grandes questions sociales. C’est très inquiétant et ce n’était pas du tout le cas avant. Lors de la précédente réforme, en 2019-2020, on n’entendait pas Marine Le Pen. Certes, l’extrême droite a peu de propositions, et porte une opposition plutôt faible à l’Assemblée nationale, mais elle a maintenant une présence médiatique très importante. Des députés RN sont invités dans les matinales presque tous les jours, et peuvent affirmer leur opposition à Emmanuel Macron. C’est, hélas, beaucoup plus audible et plus efficace que les débats parlementaires, qui sont peu regardés en comparaison.

Ressentez-vous cette progression du RN jusqu’au sein des syndicats et des luttes sociales ?

Des sondages montrent qu’y compris chez les sympathisants de syndicats de gauche, la part du vote RN ne fait que grandir (1). C’est symptomatique de la pénétration des idées d’extrême droite dans le monde du travail. Nous ne devons surtout pas nous mettre des œillères : il y a là un vrai problème qu’il faut combattre.

C’est notre rôle de démontrer que le RN ne soutient pas les travailleurs et les mesures sociales. Même si c’est de plus en plus compliqué à faire, il faut démasquer toutes les entourloupes qu’il y a derrière un discours sur le pouvoir d’achat. Sur les retraites, les députés RN parlent dans les médias de départ à 60 ans, alors qu’ils défendent 43 annuités, donc 67 ans pour ceux qui commencent à 24. Il faut continuer à démontrer que leur fond xénophobe, raciste, sexiste reste présent, mais aussi que sur le social ils appliqueraient les mêmes recettes libérales que les gouvernements qui se succèdent.

La nouvelle ampleur prise par le mouvement social depuis le 7 mars et la grève reconductible peuvent-elles aider à faire reculer le RN et démasquer son arnaque sociale ?

Le fait même de se mobiliser déporte le débat entre les formations politiques sur le terrain, avec des travailleurs qui échangent leurs idées. Et les réponses qui sont apportées, par les syndicats mais pas seulement, sont progressistes – l’égalité salariale, la hausse des salaires, la mise à contribution du capital – et de fait vont à l’encontre de celles du RN. Mais le risque est que, si le mouvement social perd, cela donnera du grain à moudre au RN pour dire « vous voyez ce n’est pas dans la rue et par les grèves que ça se joue, c’est au sommet du pouvoir, et c’est nous qui sommes la première opposition, celle qui arrive face à Macron au second tour ». Si nous parvenons à faire plier le gouvernement, ce sera l’inverse. Cela prouvera que c’est en se battant, dans la rue et autour de valeurs de gauche, que nous arrivons à gagner les combats sociaux.

(1) Selon un sondage Harris d’avril 2022, 21 % des personnes se disant proches d’un syndicat ont voté pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle, 8 points de plus qu’en 2017. 31 % chez les proches de FO, 22 % pour la CGT, 15 pour la CFDT, 14 pour Solidaires.